les sens en spiritualité : la sensation du corps

Les sens ont une place capitale sur le chemin intérieur. Trop souvent ils peuvent être perçus dans une sadhana (un parcours spirituel) comme de simples outils, voir des obstacles. Il est essentiel de connaître l’ensemble des potentiels spirituels des sens, à la fois pour mieux décrypter sa propre pratique mais aussi pour pouvoir l’approfondir. Aujourd’hui nous allons examiner les ressorts visibles et cachés de la sensation corporelle.

Les sens ne sont pas tous à égalité d’importance. L’écoute est le sens le plus connu, mais le toucher et la vision ont une réelle valeur à être explorés en conscience. Par contre les sens de l’odorat et du goût sont plus limités dans leur utilité spirituelle. Ici nous allons explorer la sensation corporelle qui est l’aspect interne du toucher. C’est à dire qu’il ne s’agit pas pour le corps de percevoir un objet mais de se sentir lui-même.

La place des sens dans une pratique spirituelle :

En spiritualité, le rapport au corps et aux sens est complexe. Il oscille trop souvent entre rejet et identification, deux extrêmes. Il est intéressant de trouver un juste équilibre grâce à une compréhension profonde.

Dans un premier temps il peut être recommandé de se détacher des sens du corps pour élaguer nos dépendances aux stimuli (excitations physiques, émotionnelles et mentales). Cela permet de se poser en nous, pour qu’il y ait un véritable retournement intérieur possible. Pour s’ouvrir progressivement à la question de l’attention. Cela signifie discerner réellement ce qu’est l’attention en elle-même, indépendamment de ses supports. Car au début, l’attention est toujours plus ou moins mélangée avec l’objet qu’elle éclaire. Il est primordial de pouvoir goûter à ce qu’elle est en nature. Pour cela, il est nécessaire de diminuer le nombre de sollicitations, internes et externes, qui viennent brouiller et encombrer notre rapport à l’essentiel. Ainsi se développe l’ouverture à la compréhension que nous sommes Conscience. Se met alors en place la compréhension que beaucoup de nos identifications, croyances et souffrances ne sont que des objets fluctuants et passagers.

Dans un deuxième temps, il peut être utile de s’appuyer sur le corps dans une exploration approfondie de la conscience. Les sens, liés au corps, ont alors une place importante à prendre. C’est la compréhension que le corps est un mystère car s’il est objet, « je ne suis pas ce corps », il ne se réduit pas non plus à cette observation. Le corps a un lien mystérieux avec la conscience ici et maintenant. Le zen parle de 2 bottes de pailles, le corps et la conscience, s’appuyant l’une contre l’autre. Distinctes mais liées dans leur équilibre. Ce serait une erreur de croire que corps et esprit sont deux entités entièrement séparées, ou au contraire que l’un est le produit de l’autre, ou que corps et esprit sont identiques. Ils existent en dépendance l’un de l’autre. Et les sens sont là pour nous le montrer de façon pratique.

La sensation corporelle dans une pratique de base :

La sensation corporelle permet l’ancrage et donc la détente du mental et des émotions. Plusieurs techniques simples sont possibles :

C’est le cas pour l’approche classique de l’attention portée sur la sensation de la respiration. Cette technique produit un apaisement, ce qui est une base pour s’émanciper du mental.

Des techniques de scan corporel utilisent l’attention pour progressivement intégrer et libérer les sensations du corps avec gêne. C’est détendre les tensions du corps qui sont souvent des obstacles pour toutes explorations spirituelles.

La sensation corporelle cache des mondes de subtilités et de finesse. Les multiples sensations en conscience d’une partie du corps (ou encore plus efficace de 2 parties du corps en symétrie, comme les 2 pieds, ou les 2 jambes …) permettent de délier en profondeur le corps, les émotions et l’esprit pour que l’attention soit plus ouverte et que la conscience puisse se dévoiler plus facilement.

D’autres techniques sont moins bien connues comme la sensation maintenue du corps entier (bouddhisme hinayana de la forêt). Cette dernière peut être intégrée dans diverses pratiques assises ou marchées.

L’intégration de la sensation corporelle dans l’exploration de la conscience peut permettre dans un premier temps que les agitations diverses tombent par l’entraînement d’une continuité et d’une stabilité dans le lien attention-sens. C’est permettre d’apaiser le mental et le cœur. Cela ouvre la possibilité que se révèle la conscience dans sa vacuité, son unité et sa vasteté.

Les mystères de la sensation corporelle :

La sensation corporelle peut être amenée par une technique subtile à dévoiler une réalité particulière. Elle peut alors devenir une porte sur l’instant présent comme une réalité en elle-même. La sensation révèle ainsi un lien profond, dans sa subtilité révélée, avec l’instant présent. Elle ouvre la porte de la plénitude de l’instant. L’ancrage du sans forme dans la forme. Un bonheur puissant.

La sensation corporelle approfondie en soi (c’est à dire d’une certaine façon totalement purifiée dans la conscience) permet d’arriver à considérer naturellement les pensées comme de simples stimuli. Il ne s’agit plus de simplement observer les pensées et de les laisser se dissoudre ou de les voir dans leur nature de vacuité. C’est sentir que même nos pensées intimes liées à des questions profondes (comme ce que je suis) ne sont que des choses pas plus importantes que la sensation de l’instant. C’est une façon de cheminer qui aide pour rester dans l’instant, non pas dans une lutte pour rester aligner mais plutôt porté par la vague continue des sensations tranquilles qui nous ouvrent à l’instant présent.

La pratique :

S’appuyer sur la sensation peut se faire traditionnellement par 3 principales voies.

La première est la sensation corporelle qui est abordée comme une conscience de soi. C’est à dire qu’il y a sensation et que l’on cherche à en être pleinement conscient. Cela génère une sorte de recul intérieur, où il y a comme un observateur ou témoin qui peut se révéler plus ou moins clairement. La sensation devient alors comme une sorte d’appui. Mais qui peut facilement être perdu par les sollicitations extérieures ou intérieure. Dans cet équilibre peut apparaître la Présence à Soi.

La deuxième façon d’aborder classiquement et puissamment la sensation est celle d’entrer dans la sensation avec l’accueil. L’accueil est simplement de s’ouvrir doucement, dans un relâcher de toutes ses intentions, à l’espace intérieur. Pour cela progressivement on commence par approfondir la sensation puis l’accueil peut se révéler en contraste ou négatif de cette sensation. Il y a sensation accueillie, il y a accueil. Là aussi la Présence peut se manifester dans cette ouverture.

La troisième façon est de plonger dans la sensation et de laisser, en même temps, la conscience lâcher en elle-même. C’est une approche plus difficile en lien avec la division de l’attention et la conscience de la nature de l’attention naturelle. La sensation corporelle peut alors être explorée dans sa grande subtilité. Puis la sensation peut être approfondie en elle même dans son unité profonde. Une subtilité qui est en lien avec des centres énergétiques qui se dévoilent en eux-mêmes et permettent d’être comme des supports spontanés ancrés et fluides pour la conscience et la présence.

Stéphane Morelle


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